Ysalaine [Présentation]

Les couloirs sont si sombres en cette saison !
Quelques torches ne seraient pas de trop, même s'il faut garder une ambiance feutrée dans la cathédrale, je le conçois...
Pour les familles, surtout, respecter leur deuil... Mais de là à déambuler dans cette obscurité !

Les petits pas de la jeune novice résonnaient sur la pierre dure, alors qu'elle avançait à la lumière de sa lanterne, qui accentuait le creux des alcôves nombreuses et régulières, peuplées d'icônes et de statues représentant les plus célèbres scènes du Liber Mortiis.
Elle tenait serré contre elle un panier de serviettes propres et douces, et autour de son cou pendait une reproduction miniature du missel du culte. Sa robe noire sévère l'empêchait de marcher plus vite, bien qu'elle soit pressée, et de plus, elle pressait le pas à l'idée de quitter les ténèbres froides pour une cellule claire et chaude.

Elle arriva enfin devant la porte, derrière laquelle vraisemblablement une femme parlait seule à haute voix, et, comme à l'accoutumée, elle tendit son poing pour frapper, avec la désillusion qu'elle allait attendre qu'on lui dise d'entrer.

- Entre donc ! Je t'attendais.

Mais combien de temps me faudra-t-il pour enfin m'y habituer ? se dit la jeune novice, désabusée, en pénétrant dans la pièce chargée d'une chaude humidité bienvenue.

Bien qu'elle ai déjà prêté ses vœux depuis deux ans, elle fut comme toujours chamboulée par la présence de l'Archiprêtresse.

La divinité émanait tant de cette femme si simple et banale !
Comment ne pas ressentir la présence de la Déesse à ses côtés ?

C'est avec un frisson de respect mêlé de crainte que la novice s'approcha.

Son Éminence Ysalaine, Grande Oracle et Archiprêtresse de Mortiis, Dame de la Mort et Gardienne du Chemin des Âmes, sortait avec précaution de son bain brûlant, nue, et pris les serviettes que lui tendait la novice, avant d'entreprendre de se sécher.

- Je te remercie. Veux-tu bien me donner mes jupons ?

Elle s'habilla donc avec l'aide de la novice, silencieusement, sans jamais que l'expression neutre et concentrée ne quitte ses traits simples mais agréables, comme si elle écoutait toujours une quelconque conversation passionnante mais inaudible.

Une fois vêtue de son éternelle robe noire et chaste, maintenant agrémentée de broderies propres à sa fonction, ses cheveux blonds relevés en chignon, l'Archiprêtresse avait parfaitement l'air d'une femme bourgeoise ordinaire quoique sévère, si ce n'était l'aura impénétrable de mystère et de puissance qui entourait toute sa personne.

- Votre Éminence, nos services sont requis...

- Par la famille Delacour. Quel triste sort pour ce pauvre homme !

- Et quelqu'un vous as demand...

- Faites donc patienter Sire Armand de Noémi, je le recevrai dans mon office.
- Et qu'on fasse venir Myriam, nous allons avoir besoin des paladins. L'église du Val va être attaquée par l'engeance de St Aphrael demain soir.

Décontenancée, malgré l'habitude, la jeune novice acquiesça en ouvrant la porte. Cela faisait déjà six mois qu'elle était au service de Son Éminence, mais Ysalaine l'impressionnait toujours...
Pas étonnant qu'autant de novices aient demandé à quitter son service !
On dit que l'ancienne Archiprêtresse Son Éminence Terrane de Mortiis n'était pas aussi triste et inquiétante...

Elle, elle resterait, émue par la transcendance qu'elle ressentait auprès d'elle, et mûe par l'envie d'être proche d'elle, d'égayer ses jours mornes, et peut-être ! d'être son amie.
Une amie comme Son Éminence n'en avait plus, depuis que Son Éminence Terrane de Mortiis nous avait quitté, pour arpenter les Chemins des Âmes aux côtés de la Déesse, en Son Royaume.
Bien seule est l'Archiprêtresse, avec ses responsabilité, n'ayant pour compagnie que ses incessantes, insistantes et perpétuelles visions de l'avenir qui troublaient tant les gens que personne n'osait la connaitre davantage.
L'unique entité qui la connaissait toute entière, l'aimait, lui parlait sans cesse, n'était autre que la Déesse elle-même.

C'est dans une solitude triste et monotone au regard des vivants qu'Ysalaine vivait, tout de même heureuse et exaltée par une symbiose parfaite avec la Dame de la Mort, en chaque parcelle de son être et à chaque instant de l'éternité.
Ceci était son fardeau en échange de la Sainteté : être toujours dérangeante et étrange aux yeux des mortels, et ne jamais avoir quiconque à ses côtés.

Elle, elle resterait, dans l'ombre de la Sainte, l'épauler et la soutenir, se disait la novice, même si son seul plaisir devrait être de ressentir l'ombre de la Puissance Divine à ses côtés.

Le regard perdu dans son interminable vague, Ysalaine se dirigea vers la porte, en murmurant, comme pour elle même "A tout à l'heure, Nathanaël".